Adoption internationale = Système colonial

Publié le par Kim Gun

Préambule

Avant d’aborder le sujet évoqué dans le titre, je souhaiterai d'abord expliquer pourquoi j’emploie le terme « colonial » sans le préfixe « néo » ou « post-colonial ».

Je considère qu’il existe un continuum entre l’histoire de la colonisation et ses effets, impacts actuels. Ce qu’on peut appeler la « colonialité » ne s’est pas arrêtée avec les indépendances. Les réalités coloniales actuelles (ou actualisées) sont à la fois multiformes et multiscalaires (= à différentes échelles, par exemple mondiale, individuelle).

Je trouve que l’ajout d’un préfixe tend à diluer, euphémiser les effets de la colonisation en marquant une sorte de rupture ou de mise à distance entre le passé colonial et son actualisation dans le présent.

 

Adoption internationale = Système colonial

Espaces-temps coloniaux

Toute la violence provenant des nations, des institutions, des lois, des individus à l'époque de la colonisation a traversé les années en s'adaptant, telle une matière (comme l'eau) passant de l'état solide à l'état liquide : toujours la même par essence mais prenant des formes différentes selon les époques. Cette violence a également traversé les espaces : depuis les espaces géographiques colonisés, elle a atteint nos espaces de vie les plus intimes (la famille, les relations amoureuses, etc.) pour s'actualiser sous d'autres formes (ex: racisme intrafamilial, fétichisation).


En employant le terme colonial sans préfixe, j'assume ici une posture engagée et militante (et sûrement provocatrice pour certain.es) qui repose sur un discours situé et une expertise de terrain prenant racine dans mon corps racisé.

Et plus je me radicalise (au sens "d’aller au fond des choses, à leurs racines"), plus je me rends compte de l’existence de certaines réalités et schémas qui se répètent. Cela me pousse à essayer de synthétiser et quelque part tenter de simplifier mes réflexions en dégageant des axiomes, à savoir des énoncés servant de point de départ à mes raisonnements.



Axiome 1                         Coloniser = Déposséder

 

L'acte premier de la colonisation s'apparente à un processus de dépossession. Les peuples colonisés sont dépossédés de leur terre, de leurs ressources, de leur culture, de leurs savoirs, de leur identité, de leurs corps, de leurs enfants, etc.

Cette perte, cette dépossession, ne se fait pas sans douleur, sans souffrance. Peu importe les intentions de celleux qui dépossèdent, il s'agit toujours d'un acte brutal, violent qui marque les corps et les esprits des colonisé.es.

Evoquer la dépossession, c'est aussi penser un processus, une séquence coloniale qui d'une main dépossède pour de l'autre re-posséder et s'approprier. (C'est pourquoi cet axiome ''coloniser = déposséder" est aussi utile pour comprendre par exemple en quoi l'expropriation-appropriation culturelle procède de la même séquence coloniale)

Pourtant,  force est de constater que dès qu'on évoque l'adoption internationale, cette dépossession et ce déracinement sont présentés comme des gestes salvateurs voire civilisateurs.

Mais ce vernis mystifiant ne résiste guère au contact des faits.

 

La dépossession fait partie intégrante du processus de séparation qui définit l'adoption  internationale.

 

Les adopté·es transnationaux.ales sont séparé.es, éloigné.es et dépossédé·es de leur terre natale, de leur famille, de leur culture, de leur langue, de leur alimentation, etc.

Ce processus de dépossession se décline concrètement sous la forme de la déculturation qui consiste à déposséder, séparer d'une culture (langue, savoirs culturels, culinaires, etc.) et dont l'assimilation est à la fois le pendant et la conséquence.

Cela fait écho aux pratiques coloniales notamment dans les colonies de peuplement comme les Etats-Unis ou le Canada, où des politiques ethnocides de déculturation ont placé (et placent encore) des enfants autochtones dans des institutions ou dans des familles blanches pour les séparer de leur famille et culture d'origine ( les jeunes autochtones sont encore aujourd'hui sur-représenté·es dans les services de protection de l'enfance au Canada).
 

Corps assimilés

Les adopté·es transnationaux·ales sont assimilé·es : iels sont intégré·es bon gré mal gré dans un autre corps familial, national, culturel qui n'est pas celui dans lequel iels sont né·es. Iels doivent donc s'adapter à de nouvelles règles et normes culturelles, familiales, alimentaires, langagières, etc. La difficulté grandissant en fonction de l'âge auquel iels ont été adopté·es. Cette assimilation se manifeste aussi souvent par un changement de prénom de la part des parents adoptants. Sous couvert d'une meilleure intégration de nos corps souvent racisés dans un autre corps blanc, ce changement de prénom n'est au fond qu'un acte de dépossession de la part des parents adoptants qui cherchent ainsi à s'approprier l'enfant adopté et à le remodeler à leur façon. Cet acte qui consiste à rebaptiser est pour moi un acte fondateur de cette séquence coloniale. Aussi je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec les premiers colons européens qui, en débarquant sur une terre qu'ils ne connaissaient pas, ont  eu comme premier geste de baptiser, nommer comme pour mieux posséder et s'approprier ces terres.



Axiome 2
 Nord global = zone de droits  = "civilisé/ développé"

 Sud global = zone de non droits = "non civilisé/ non développé"


Flux à sens unique et migration forcée

Il suffit de regarder un instant les pays dont sont originaires la plupart des enfants adopté·es pour remarquer qu'il s'agit principalement de pays du Sud global. De ce fait, la séparation s'actualise aussi sous la forme d'une migration forcée qui s'inscrit dans un flux à sens unique: du Sud global vers le Nord global.  Ce flux migratoire est à sens unique car il repose principalement sur des rapports de pouvoirs asymétriques notamment au niveau économique, social et culturel entre le Nord et le Sud global.


Une seule manière d'adopter et de faire famille

On remarque qu'une seule manière d'adopter et de faire famille s'est imposée depuis l'Occident dans le reste du monde par le biais de pratiques de pouvoirs des institutions (politiques, sociales, juridiques) et des organismes d'adoption dirigés principalement par des occidentaux·les, blanc·hes et très souvent d'inspiration chrétienne.


Les rapports de domination Nord/Sud vus à travers la notion d'incapacités

J'avais évoqué dans un post précédent la notion d'incapacités au sujet de l'adoption internationale. D'un coté l'incapacité biologique à faire des enfants pour les personnes occidentales qui se tournent vers l'adoption internationale vue comme un dernier recours, une solution pour assouvir un désir d'enfant et une envie de faire famille. Cette incapacité perçue comme un problème d'ordre biologique trouve alors sa solution parce que d'autres personnes, les parents de naissance, sont socialement et économiquement incapacité·es à garder leurs enfants.

 


Notion de développement
 

Cette idée d'incapacités ne peut être évoquée sans parler de droits à faire famille qu'ont certains individus plus que d'autres. Et cela repose en partie sur la construction socio-historique de relations de pouvoirs inégalitaires entre les pays: ceux qui sont assez ''développés'' pour recevoir et adopter, et les autres qui ne seraient pas assez ''développés'' pour garder leurs enfants.

1. D'une part, la notion de développement est à discuter en tant qu'idée contemporaine qui présuppose un schéma uniforme de « croissance » de type capitaliste calqué sur le modèle occidental.

 

2. D'autre part, le fait de garder ses enfants en refusant de les envoyer à l'adoption internationale (tout en adoptant et assimilant les enfants provenant d'autres pays) relève d'une croyance entretenue par certains pays qui se perçoivent  et sont perçus comme des nations  puissantes, développées et civilisées. Ce fut le cas de la France qui, après la 2nde Guerre Mondiale, se retrouvant avec beaucoup d'orphelin·es de guerre, a refusé d'envoyer ces enfants à l'adoption internationale. Cela aurait été comme admettre un échec, une défaillance d'un système national français désirant garder l'image d'une puissance mondiale capable de garder ses enfants. Et pourtant, encore  à l'heure actuelle, le système de protection de l'enfance est  bel et bien défaillant en France. Comme quoi, il ne suffit pas de se dire ou se penser "développé" ou "civilisé" pour l'être véritablement.



Conclusion

La colonialité transparaît donc à travers l'imaginaire, la mythologie, les représentations et aussi -et surtout- les structures et les pratiques de l'adoption internationale qui actionnent des mécaniques coloniales.

 

L'adoption internationale est un système colonial car
il fonctionne dans un cadre et dans des espaces-temps coloniaux. Les pratiques de l'adoption internationale s'inscrivent dans une séquence coloniale qui consiste à déposséder-reposséder. Ces pratiques sont à la fois légitimées et légalisées par tout un système se nourrissant des inégalités entre le Nord et le Sud global.

Celleux qui bénéficient de ce système de l'adoption internationale y voient leurs intérêts satisfaits : désir d'enfant comblé pour les personnes adoptantes, bénéfices financiers pour les organismes d'adoption privés et souvent les institutions et gouvernements des pays sources, et ''image de marque'' valorisée des pays récepteurs qui en retirent des avantages symboliques, sociaux et économiques.

Publié dans adoption, Articles

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