Peut-on totalement se réjouir du lancement d’une mission d’inspection interministérielle sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale ?

Publié le par Kim Gun

On peut d'une certaine manière se réjouir de l’annonce du Gouvernement faite le 8 novembre dernier au sujet du lancement d’une mission d’inspection interministérielle sur les pratiques illicites dans le cadre des adoptions internationales en France.

Pour autant n’oublions pas que cette annonce n’est pas l’expression d’un bon sentiment de la part du Gouvernement mais le résultat d’un travail de terrain persévérant mené par des collectifs et associations comme RAÏF qui n’ont eu de cesse depuis février 2021, notamment à travers leurs actions (pétition, rencontre avec des élu-es..), de réclamer cette enquête.

Nous pouvons nous réjouir du fait que cette mission d’inspection puisse être accompagnée d’un regain d’intérêt médiatique sur la question de l’adoption internationale. La période qui s’ouvre verra sans doute un certain nombre d’opportunités s’offrir pour la prise de parole des groupes d’adopté-es en lutte pour plus de droits, de vérité, de transparence et de justice.

Néanmoins, se réjouir de cette décision ne doit pas être une raison pour cesser de se mobiliser sur ce sujet. Au contraire, il faut maintenir une pression sociale pour que cette enquête ne soit pas menée à la va-vite et éviter qu’elle ne reste sans effet politique.  Pour cela, rappelons-nous l’exemple des Pays-Bas qui ont décidé de suspendre les adoptions internationales en février 2021 suite à un rapport d’enquête sur les adoptions illégales. Un même rapport (avec des résultats similaires) était paru en 2016 sans avoir d’effet politique comme ce fut le cas en 2021. Pourquoi ? Parce qu’entre 2016 et 2021, les personnes adoptées se sont mobilisées, organisées, et plusieurs ont également porté plainte. Iels ont ainsi réussi à maintenir une certaine pression en sensibilisant l’opinion publique sur cette question.

Une fois passé ces réjouissances (tout à fait légitimes), il nous faut rester vigilant-es sur la manière dont sera menée cette enquête, sur les enjeux et les écueils prévisibles. Nous pouvons d’ores et déjà nous questionner au sujet de la durée annoncée qui est de 6 mois. N’est-ce pas un peu court pour réellement cerner les enjeux et les pratiques illicites au sein d’un vaste système qui concerne 80 pays, environ 100 000 enfants sur une période de 70 ans?


L’individualisation et la perception morale des pratiques

En premier lieu, le risque qui m’est apparu comme le plus évident s’apparente au fait d’individualiser les adoptions tout en tombant dans une forme de moralisme. Pour le dire autrement, mettre l’accent sur les adoptions illégales, c’est considérer qu’il y aurait des adoptions légales perçues et construites comme de « bonnes » adoptions. Les adoptions illégales passant alors pour les « mauvaises » adoptions à bannir pour nettoyer le système et le faire perdurer sous une forme construite juridiquement comme légale et légitime. Or, la légalité d’une adoption ne présume en aucun cas de l’absence de rapports de domination entre les candidats à l’adoption et leurs intermédiaires d’un côté, et les familles biologiques, pour l’essentielle vulnérables du Sud global (d’où nous sommes originaires), de l’autre.

Mettre l’accent sur les adoptions illégales, c’est donc courir le risque de tomber dans un moralisme binaire : « bonnes » VS « mauvaises » adoptions en omettant les mécanismes extractivistes qui poussent à la séparation entre les mères biologiques et leurs enfants. Le risque est clair : offrir aux parents adoptants, mais aussi aux organismes d’adoption l’occasion de se complaire dans le mythe de la « bonne » action, légitime dès lors qu’ils se seraient acquittés en bonnes et dues formes de procédures formelles que l’on sait insuffisantes et pensées d’abord pour répondre à un besoin de « faire famille » des familles occidentales plutôt qu’à l’intérêt des enfants (et futurs adultes) adopté-es.

Le risque de transformer la discussion politique sur le système colonial de l’adoption internationale en débat moral stérile constitue un piège évident que nous devons anticiper. Il nous empêcherait de questionner les croyances et les pratiques qui structurent l’adoption internationale (mythe du sauveur blanc, mythe de l’orphelin, mythe de l’abandon, etc.) qui sont pourtant au cœur de pratiques asymétriques de pouvoir.

Ce focus mis sur les adoptions illégales amène à une individualisation du problème qui empêche de voir les rapports de pouvoir et de domination qui sont en jeu au sein du système de l’adoption internationale qui dans sa matrice reste un système colonial extractiviste (rapports Nord/Sud, privation de droits de faire famille pour les communautés racisées, exploitation des corps des femmes du Sud global faisant de l’adoption internationale une GPA acceptable, etc). Bref, il porte en lui le risque de poser la mauvaise question et par conséquent d’y apporter les mauvaises réponses. Car c’est bien une « réforme » du système ( au sens de retour à sa forme originelle via quelques réajustements) que l’on va à coup sûr nous présenter in fine, en nous concédant que dans certains cas (et dans certains cas seulement), l’intérêt supérieur de l’enfant aurait été perdu de vue, mais que dans l’ensemble le système demeure viable… avec le risque de prolonger à bon compte des pratiques de pouvoir asymétriques dont nous voulons nous débarrasser pour de bon.

 

Questionner la notion de légalité

La notion de légalité est un construit historique, juridique et social. Par exemple, la traite esclavagiste a longtemps été considérée comme une pratique légale fondée en droit, notamment en France avec le Code noir. Et ce construit social de la légalité est d’autant plus bancal si l’on considère qu’en réalité le modèle hégémonique de l’adoption internationale est celui de la traite humaine. Pour cela, il suffit de reprendre la définition officielle de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains où la traite humaine est  « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation ».

On retrouve de telles pratiques dans l’adoption internationale notamment dans le fait que certains parents sont « incapacité-es » (pour des raisons économiques, sociales, par pression familiale ou du fait de "rabatteurs" payés par les agences, etc) pour garder leur enfant. Il y a bel et bien une contrainte (physique, symbolique, matérielle, économique, etc) qui s’exerce sur les familles de naissance qui, contrairement à ce que nous fait croire le mythe de l’abandon ainsi que le mythe du consentement (
mythe néo-libéral qui tend à ne centrer qu'autour de l'individu seul, comme "déconnecté" et "libéré " de tout rapport de pouvoir, de toute contrainte, de toute domination d'ordre structurel) n’abandonnent pas par un choix libre et éclairé mais sous la contrainte. On voit là l’aspect coercitif de ce système qui s’exerce sur les populations racisées du Sud global.

En somme, envisager l'adoption internationale sous l'angle de l'illégalité devrait permettre de penser l'illégalité non pas comme une excroissance non voulue et non contrôlée (excroissance qu'il suffirait d'ôter pour ainsi "guérir" le système de l'adoption) mais plutôt comme une caractéristique intrinsèque, au coeur même de ce système qui, selon le point de vue, dysfonctionne ou alors fonctionne très bien. 

Un autre point est que la reconnaissance de l’illégalité de certaines adoptions permettra à des personnes adoptées de réclamer des droits notamment parce qu’elles auront été reconnues comme victimes d’une adoption illégale. Mais on peut se demander selon quels critères il sera possible d’affirmer qu’une adoption est illégale. En effet, jusqu’où pousse-t-on le curseur de l’illégalité ou de la légalité ? Et que faire lorsqu’on se situe dans une zone grise ? Que faire lorsque l’illégalité n’est pas reconnue (lorsqu’elle ne rentre pas dans la case de l’illégalité en fonction de certains critères qui auront été édictés) ? Et à quelles procédures pourront réellement accéder les adopté-es ? Je pense notamment aux adopté-es qui souhaiteraient annuler leur adoption plénière (chose impossible en France à l’heure actuelle). Une telle démarche sera-t-elle possible un jour ?


L’adoption internationale serait mieux contrôlée aujourd’hui

Voilà ce qu’on entend régulièrement de la bouche des institutions, des OAA (organismes autorisés pour l’adoption) et des parents adoptants. Récemment les propos du Quay d’Orsay recueillis par Le Monde dans l’article du 25 novembre 2022 (« Le combat de Marie Marre pour que la vérité éclate sur des adoptions illégales menées entre la France et le Mali ») vont dans ce sens. Je cite l’extrait de l’article en question : « le ministère des affaires étrangères précise que « le contrôle des OAA [organismes d’adoption agréés] n’était pas du tout le même qu’aujourd’hui ». Même s’il y a « certainement eu des pratiques illicites » au sein de RDSEE (Rayon de soleil de l’enfant étranger), finit par reconnaître le Quai d’Orsay, il précise considérer désormais l’association comme « un interlocuteur fiable, dans la façon dont elle travaille aujourd’hui ». » 
Mais qu’est-ce qui permet d’affirmer aujourd’hui réellement et concrètement qu’il s’agit d’un intermédiaire fiable ? Et au-delà du cas de RDSEE, qu’est-ce qui permet aujourd’hui d’affirmer réellement et concrètement qu’une adoption internationale a été faite en toute « légalité » au vu des rapports de domination Nord-Sud, au vu des pressions et contraintes (sociales, économiques..) exercées sur les familles de naissance "incapacitées" et privées du droit de garder leur enfant, au vu de la transaction financière qui est en jeu et qui fait de l’adoption un acte marchand, au vu de cette pratique occidentalo-centrée qui consiste à séparer définitivement un enfant de sa famille, de sa culture, de son pays pour en faire une page blanche sur laquelle les parents adoptants réécrivent une histoire, etc. De tels discours nous donnent l’impression de vivre dans un monde merveilleux où, comme par magie, les pratiques de l’adoption seraient désormais « sécurisées » (un mot qui a été d'ailleurs beaucoup employé lors des Rencontres de la Mission de l’Adoption Internationale tenues à Paris le mardi 22 novembre).

On parle donc de « sécurité » et de « protection » de l’enfance. Faut-il rappeler que l’adoption internationale telle qu'elle a été et telle qu’elle est toujours pratiquée n’est pas une mesure de protection de l’enfance ? Dès 1974 la travailleuse sociale canadienne Sydney Byma l’avait remarqué en Corée du sud dans une étude qui montre que l’adoption internationale est un frein à l’émergence d’un système efficace de protection de l’enfance.


L'éventuelle déresponsabilisation de la France

Enfin, nous devons rester vigilant-es sur un effet pervers, à savoir l'éventualité que la France se déresponsabilise tout en pointant du doigt les pratiques illégales dans les pays sources alors considérés comme uniques responsables. Or cette dérive a déjà été mise à jour par un rapport de Terre des Hommes-Suisse (TDH-S) datant de 20081 qui rappelle que les Etats récepteurs doivent cesser de fuir leurs responsabilités en considérant qu’ils seraient en dehors du problème. Voilà ce qu’on peut lire dans la préface : « l’adoption internationale se négocie au plus haut niveau. Trafic d’enfants, adoption commerciale, scandales des institutions d’Etat, il y a là suffisamment à déplaire. La réflexion se concentre depuis de nombreuses années sur les pratiques des pays d’origines. Pas assez strictes, trop corrompus, ces derniers ne cessent d’être considérés comme responsables des dérapages en matière d’adoption internationale. Or à l’heure de la globalisation, où un enfant peut être acheté sur internet, où des candidats toujours plus nombreux cherchent à adopter dans un contexte à risque, il est urgent de mener une réflexion sur la coresponsabilité des pays d’accueil. » 


Pour conclure, je pense que dans une certaine mesure, nous pouvons nous réjouir de cette décision gouvernementale, mais nous devons aussi et surtout avoir en tête les écueils possibles et rester vigilant-es sur les conclusions de cette enquête ainsi que sur ses effets politiques.

 

1« Adoption à quel prix ? Pour une responsabilité éthique des pays d’accueil dans l’adoption internationale » de Isabelle Lammerant et Marlène Hofstetter.
Ce rapport se base sur une étude comparative des législations et pratiques en matière d’adoption internationale dans 6 pays d’accueil européens (Allemagne, Espagne, France, Italie, Norvège et Suisse).

Publié dans adoption, Articles

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