Les droits des femmes non blanches valent-ils moins que les enfants qu'elles fournissent à l'Occident ?

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Cet article est la retranscription d'un post instagram publié le 8 décembre 2020 sur mon compte Kimgun59.

Il est temps de prendre la mesure de ce qu'est réellement le système de l'adoption internationale. Il est temps de décortiquer ce système à l'aide de notre loupe intersectionnelle pour mettre à jour les rapports de pouvoirs et de dominations sur lesquels il repose et se nourrit. Il est temps de ne plus avoir peur des mots qui ''font peur'' parce qu'ils dérangent les discours dominants. Bien au contraire, il est temps de les utiliser pour clamer haut et fort que l'adoption internationale est un système (néo)-colonial, capitaliste, hétéro-patriarcal, validiste, adultiste (= rapports de pouvoirs et de dominations liés notamment à l'âge entre adultes et enfants).

Je remercie toustes celleux qui luttent pour faire entendre leurs voix dissidentes. Plus nous serons nombreux.ses à le faire, mieux ce sera !
Et en particulier, je remercie Amandine Gay pour m'avoir fait découvrir les enjeux de la justice reproductive au sujet de l'adoption. Je remercie Liz Latty pour son article dans le Huffpost paru en 2017, Adoption Is A Feminist Issue, But Not For The Reasons You Think que j'ai découvert très récemment et qui m'a incité à écrire ce post. Je remercie également Fenneke Reysoo et Pien Bos pour leur analyse  très pertinente dans N’est pas mère qui veut. Le paradoxe de l’adoption internationale.

Merci également à tous.tes les adopté.es qui partagent des ressources, des liens qui abreuvent notre réflexion au quotidien et nous font avancer vers plus de visibilité et d'empouvoirement!

 

Les droits des femmes non blanches valent-ils moins que les enfants qu'elles fournissent à l'Occident ?
Les droits des femmes non blanches valent-ils moins que les enfants qu'elles fournissent à l'Occident ?
 

La question des droits des femmes, et des minorités de manière générale, doit être posée si l'on veut comprendre comment fonctionne le système de l'adoption.

Nous connaissons les mots d'ordre et les revendications issues des mouvements féministes occidentaux des années 70 : ''mon corps est à moi'' ou '' mon corps, mon choix''. Il semble aujourd'hui, mais comme il a pu sembler hier aux militantes féministes noires, que ces principes politiques ne concernent pas toutes les femmes.

Dans les faits, qui a le droit de disposer comme iel l'entend de son corps ?
En pratique, pas tout le monde, et encore moins les femmes non blanches du Sud global.
Certaines réponses du féminisme mainstream pour ''libérer'' les femmes blanches semblent reposer d'ailleurs sur une accentuation des rapports de domination Nord/ Sud. L'adoption et les questions relatives à la justice reproductive sont le reflet de cette situation coloniale.

Pourquoi entend-on encore des personnes qui revendiquent le droit à ne pas faire/avoir d'enfants dire qu'iels auront toujours la possibilité d'adopter? (comme cela a été dit récemment dans l'épisode 13 de la saison 3 d'Arte FAQ sur snapchat par un homme qui témoignait ne pas vouloir d'enfant).

L'adoption est souvent vue comme un dernier recours pour avoir un enfant. Une sorte d'alternative pratique, utile et toujours disponible pour les personnes étant dans l'incapacité biologique de se reproduire (par exemple pour les hommes cis célibataires ou homosexuels, ou dans les couples hétérosexuels en cas de stérilité féminine ou masculine).

Beaucoup de futurs parents occidentaux sont convaincus du bien-fondé de leur droit - obtenu en partie grâce à des pratiques de pouvoirs historiques et coloniales- à surmonter leur incapacité biologique à avoir des enfants en trouvant une solution de secours dans l'adoption.

Les mythes sur l'adoption monopolisent tellement les imaginaires occidentaux et blancs que même les militant·es qui se disent combattre les rapports de dominations ne prennent pas la mesure de l'asymétrie fondamentale sur laquelle repose ce système de l'adoption internationale.

Il est plus que temps d'avoir une lecture intersectionnelle, décoloniale et féministe de ce système profondément injuste et de rompre avec la logique dite ''progressiste'' qui voudrait étendre à tous les Blanc.ches l'accès à une pratique foncièrement coloniale (comme le fait d'ailleurs la réforme de l'adoption actuellement en discussion qui élargit les critères légaux pour adopter).

On ne peut plus tolérer un système qui sépare, démantèle des familles, qui acculture les enfants dans le but de construire des familles adoptives situées à l'autre bout du monde et/ou à l'autre bout du spectre social et racial.

Cette asymétrie se retrouve au niveau national comme international avec des rapports de dominations de classe, de genre, de race, de validité et d'âge à l'égard des parents de naissance ''incapacité·es'' à élever leur enfant ( = car perçu·es et rendu·es socialement et économiquement incapables d'élever leurs propres enfants).

 

  • Les rapports de domination d'âge :
    ''incapacité·es'' car considéré·es comme ''trop'' jeunes, pas assez ''matures'' (comme si la maturité se mesurait infailliblement au nombre d'années d'existence)

     
  • Les rapports de domination de validité :
    ''incapacité·es'' quand iels sont porteur.euses d'un handicap.
    Or le handicap n'est un handicap que s'il est vu et surtout maintenu comme tel par l'absence de structures, d'aides et d'actions sociales.

     
  • Les rapports de domination hétéropatriarcaux et de genre :
    ''incapacité·es'' car ce sont des femmes souvent isolées ou non mariées

     
  • Les rapports de domination de race :
    ''incapacité·es'' car ce sont des personnes non blanches

     
  • Les rapports de domination de classe :
    ''incapacité·es'' car pauvres

Une lecture intersectionnelle nous permet de mesurer le peu de chances qu'a, par exemple, une jeune femme non blanche non mariée et pauvre de garder son enfant.

Une citation intéressante de l'article Adoption is a feminist issue, but not for the reasons you think, rédigé par Liz Latty et paru en 2017 dans le Huffpost souligne ces rapports de dominations multiples en ce qui concerne les adoptions aux Etats-Unis (traduction en français) : '' Voici la vérité la plus difficile à ce jour : ces enfants sont presque toujours des enfants des pauvres et des travailleurs, des personnes de couleur, des autochtones et des jeunes. Les personnes qui les adoptent, qui bénéficient directement de l'oppression économique et raciale de ces groupes, sont le plus souvent des personnes de la classe moyenne voir supérieure et sont principalement blanches''.

Les faits énoncés dans cet article qui se déroulent aux Etats-Unis me semblent exacerbés à l'échelle internationale et entretenus pour satisfaire les familles occidentales en mal d'enfant.

Derrière cette croyance en un « stock » illimité d'orphelin.es se dessinent également dans l'ombre celles qui en sont les productrices : les femmes du Sud global.

N'oublions pas que les enfants adoptés ne sont pas nés ex nihilo. Iels proviennent des corps de  ces femmes (souvent non blanches) dont l'existence et les droits n'intéressent que rarement les féministes blanches occidentales.

Je terminerai par la question suivante : quelle est la différence entre l'adoption internationale et la gestation pour autrui ?
Mis à part l'éloignement géographique, les intermédiaires-écrans (organismes, agences d'adoption dans les pays sources) et la mythologie coloniale qui conforte les adoptant.es dans l'idée de faire un geste philanthropique, l'adoption internationale dépourvue de ses atours idéologiques apparaît finalement comme une
gestation pour autrui acceptable.
Une gestation pour autrui qui, parce qu'elle ne dit pas son nom, peut être qualifiée d' « acceptable » et fondamentalement parée de vertus morales et chrétiennes.
Ce qui peut paraître d'autant plus ironique lorsque l'on sait l'énergie déployée par les familles chrétiennes traditionalistes qui adoptent et qui pourtant s'opposent à la légalisation de la PMA et GPA en France et en Occident.

Reconnaître ce qu'est l'adoption internationale, pointer du doigt les rapports de dominations sur lesquels elle repose permettrait de ''ressusciter'' les mères (et plus généralement les parents) de naissance mort·es socialement et juridiquement en raison de l'absence de droits dont iels disposent. 

 

Publié dans adoption

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